Eclairage nouveau sur les errances du métalangage. Enseignement et conscience linguistique

Le métalangage désigne la conscience qu’a le sujet de faits de langue ou de discours.

par Philippe Geneste

Le métalangage désigne la conscience qu’a le sujet de faits de langue ou de discours. Pour l’institution scolaire, sans le métalangage, l’enfant ne poserait pas de réflexion sur son langage écrit ou parlé. En conséquence, l’institution scolaire a mis en place un enseignement grammatical dès l’école primaire, un enseignement répétitif jusqu’à la fin du collège. En prenant acte de ce positionnement, de cette réalité de l’enseignement du français, nous discuterons ici du métalangage c’est-à-dire ce que l’institution nomme la conscience linguistique. Nous nous appuierons sur deux exemples, l’enseignement grammatical et l’enseignement de la lecture.

 

L’enseignement grammatical

Les études et les observations, développées avec Philippe Séro-Guillaume dans les séminaires Pour une pédagogie des apprentissages créatifs du langage, démontrent que pour analyser les faits de langage dans un but d’enseignement, il faut partir de l’expérience de discours des élèves. C’est le seul point de départ pour que l’élève engage une réflexion sur le langage : observer, comparer, classer, organiser, réfléchir.

La conscience linguistique ne se forge que si le sujet peut observer ce dont il parle –ici les mots utilisés, les arrangements utilisés pour construire l’énoncé-. Dans un premier temps, ce voir est immédiat et il faut partir de lui pour entamer la réflexion. Dans un second temps c’est un voir médiat, mental qui s’appuie sur le comprendre issu du premier voir. Dans le premier temps, le sujet observe des objets discursifs présents sous ses yeux ; dans un second temps, il observe des objets de raison.

Tout à l’inverse, l’enseignement grammatical scolaire se fonde sur des définitions et des dénominations impositives et croit introduire l’expérience du discours par les exemples. Mais c’est une erreur. Les exemples ne sont pas du discours réel. Ils sont artificiellement introduits dans le but d’illustrer les définitions et dénominations données.

Or, pour qu’il y ait expérience véritable de discours, il faut que s’exerce une pratique réelle de discours. C’est une lapalissade, certes, mais l’institution scolaire procède à l’inverse aussi est-il bon de la rappeler dans ces lignes. Si on part d’une pratique réelle de discours, alors, l’élève est amené, comme l’enfant au cours de son apprentissage du langage, à isoler ce qui fait problème. L’enseignant peut travailler sur les erreurs soit à partir de la demande des élèves, soit à partir d’une confrontation au sein d’un groupe ou d’une classe entière… Ce n’est que dans ce cas, que le discours reste quelque chose de palpable, d’immédiatement observable pour les élèves et donc qu’on ne les perd pas avec des abstractions hors de portée de leur niveau cognitif. Procéder depuis le discours réel des élèves permet à l’enseignant de réfléchir sur les difficultés, sur les erreurs des élèves avec le groupe classe ; il faut confronter les idées sans jamais oublier de mettre le sens au centre.

Durant le cours, s’accumuleront, ainsi, grâce à la vigilance de l’enseignant, et à partir des observations des élèves, ces phrases isolées ou ces segments isolés venant illustrer des réflexions sur la construction des discours, sur la légitimité ou non de telle ou telle tournure de phrase, sur la normativité de telle écriture ou telle forme langagière orale. Si on veut, cette liste ressemble à une liste des fameux exemples. Elle est obtenue après que les formes langagières en cause sont reprises, reformulées, analyser avec leurs mots par les élèves. Mais alors que dans la méthodologie scolastique, les exemples sont donnés juste après les définitions impositives, donc en préalable à la compréhension par l’élève de sa pratique linguistique et même, pour se substituer à elle… ici, dans notre conception pédagogique de l’enseignement langagier, ces fragments de discours isolés le sont au moment où aboutit la réflexion. Le principe d’une pédagogie pour un apprentissage créatif du langage est que les exemples ne sont exemplaires que si les élèves les éprouvent, les vivent, que s’ils appartiennent à une expérience des élèves. Pour l’institution scolaire, les exemples arrivent en début d’apprentissage, pour une pédagogie constructiviste ils arrivent à al fin d’une expérience vraie de discours, conséquemment à elle.

 

L’enseignement de la lecture

Un autre domaine peut servir à notre réflexion sur la place à donner au métalangage c’est-à-dire à la conscience linguistique explicite revendiquée comme méthode par l’institution scolaire, ce que nous appelons, la scolastique. Il s’agit de l’apprentissage premier de la lecture.

On y parle de la conscience phonologique comme indispensable à l’apprentissage de la lecture… Ceci est-il pertinent si on le confronte à la réalité ? Que montrent les enfants en la matière et que tout un chacun peut aller observer ? L’enfant entendant se construit un système phonologique qui est institué en lui vers 7 ans. C’est un système de représentation de la phonie qu’il a inconsciemment construit en lui et qui est à sa disposition. L’enfant travaille la phonie sans avoir besoin de rentrer consciemment dans la partie phonique de la parole, sans travail de conscientisation phonologique. Si tel était le cas, s’il fallait à l’enfant, pour « bien parler » posséder la connaissance des causes phonologiques de la parole, il lui aurait fallu passer par une extériorisation de la phonie posée comme objet d’étude. Aucun enfant entendant ne procède ainsi. Il expérimente, il essaie, il compare in situ etc. mais il n’a pas besoin qu’on lui explique les enchaînements de phonèmes etc.

D’ailleurs, pour argument, nous pouvons évoquer l’œuvre de Troubetzkoy comme celles des linguistes travaillant sur la question : ils ont mis à jour ce système phonologique tardivement dans l’histoire des sciences. Et on voudrait que l’enfant le pose en face de lui comme objet entre 7 et 8 ans voire entre 6 et 8 ans ? Quelle furiosité scientiste ! Quelle ineptie psychologique ! Quelle incongruité pédagogique ! Quelle bêtise de raison !

Tout à l’inverse, faisons donc écrire les enfants, donnons leur le désir d’écrire et par un pas à pas, sans forçage, amenons-les à rectifier leurs erreurs, à parler de ces erreurs (ces « fautes » dit la société), à s’aider les unes les autres selon les erreurs dépassées par chacun et chacune. Entraînons chaque élève à apprendre des autres et à observer son propre écrit, sa propre parole. C’est un apprentissage lent que celui-ci, nous en convenons, mais c’est une voie sûre d’apprentissage parce que c’est un apprentissage commun, tissé de discussions, et qui part d’un matériau créé, produit par l’enfant lui-même.

On pourrait conclure en disant que prendre conscience d’une erreur ce n’est pas la voir soulignée ou la souligner soi-même, c’est savoir l’expliquer. La centralité de l’erreur dans l’enseignement amène ainsi, c’est un autre sujet, à ramener l’évaluation à sa juste place, celle de la réflexion sur ses productions par chaque élève. Le métalangage n’est donc pas obligatoirement utile pour l’enseignement aux jeunes enfants et il peut même être nuisible. Ce qui est utile, c’est la réflexion, c’est mener les élèves à la réflexion sur leur usage des discours et de là se pencher peu à peu sur des aspects formels, sur des abstractions, sur le discours comme forme au service du sens. En procédant ainsi, l’enseignement suivrait le cours évolutif de la pensée enfantine, serait en phase avec ce cours, car, n’oublions pas cette profonde observation du linguiste Gustave Guillaume :  « L’opération de langue est une opération précoce, dépassée et en quelque sorte oubliée (on n’en a plus conscience) quand s’engage l’opération du discours. La conscience du langage est essentiellement du présent-futur : c’est ce qu’il fait et va faire. L’inconscient c’est ce qu’il n’a plus à faire, l’ayant déjà fait » (1). Ces deux phrases sont à méditer pour l’enseignement, elles livrent des clés essentielles pour une juste position pédagogique.

Philippe Geneste

(1) Gustave Guillaume a écrit dans le tome 2 des Prolégomènes à la linguistique structurale. Discussion et continuation psychomécanique de la théorie saussurienne de la diachronie et de la synchronie, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 397 p. – p. 181 :