Les programmes officiels ont bien mauvaise langue ou de l’ordre du désordre

Les programmes officiels concernant la conjugaison reposent sur une présentation confuse et nous en donnons la preuve …

Les programmes officiels ont bien mauvaise langue ou de l’ordre du désordre

PHILIPPE : Philippe, figure-toi que je viens de lire Le guide de survie pour  les parents. Les Devoirs à la maison sans stress. Ecole primaire (Paris, Nathan, 2018, 64 p. 5€90). L’autrice, Caroline Moka, y présente les textes officiels à l’intention des parents. Voilà ce qu’elle écrit : « les enfants apprennent le mode indicatif : le présent, le futur et les temps du passé (imparfait, passé composé, passé simple, plus-que-parfait), le présent de l’impératif et le présent du conditionnel. »[1].

PHILIPPE : Et alors, c’est bien ce qu’imposent à l’enseignement les Instructions Officielle du primaire, non ? Au CM1 sont dévolus le présent, le futur, l’imparfait, le passé composé ; le reste est vu au CM2.

PHILIPPE : oui, oui. Mais, justement, j’aimerais bien qu’on discute de ces instructions officielles. Première merveille, pour elles, il n’existerait qu’un seul temps du futur…. Quand les élèves arriveront en collège, ils découvriront d’autres temps du futur : bonjour les dégâts de la mémorisation des cours du primaire dans les jeunes têtes ! Le présent et le futur ne sont pas présentés explicitement comme des temps

PHILIPPE : Ce serait les temps neutres, un peu comme le blanc qui n’est pas une couleur sûrement…

PHILIPPE : je n’y avais pas pensé, mais c’est un bon rapprochement. En plus, as-tu remarqué que, probablement parce qu’il ne s’agit pas de temps, ils sont précédés de l’article (« le présent, le futur »). L’article indique leur importance, sans doute, puisque « les temps du passé » sont livrés entre parenthèses et sans article…. Donc au mode indicatif il y a le présent, le futur et les temps du passé seuls adoubés de la dénomination « temps ».

PHILIPPE : peut-être que les Instructions Officielles veulent présenter « le présent » et « le futur » comme des époques et que c’est pour cela que les deux sont précédés d’un article

PHILIPPE : non, je ne crois pas. Les Instructions Officielles ne font nulle part la distinction entre époque et temps.

PHILIPPE : tu dois avoir raison, parce que les confusions abondent. Le passé composé est donné comme un temps du passé… c’est sûrement pour faciliter le travail de l’enseignant qui expliquera ensuite, que le passé composé se conjugue à partir du présent de l’auxiliaire auquel on adjoint le participe passé….

PHILIPPE : Merveilleuse fabrique de confusions ! Les Instructions imposent d’enseigner que le passé composé est un passé mais il va falloir à l’enseignant expliquer qu’on le conjugue avec le présent de l’auxiliaire. Donc c’est un passé qui se conjugue avec un présent…

PHILIPPE : comprends ce que tu peux jeune élève !

PHILIPPE : et pour l’aider à comprendre les Instructions Officielles, imposent aux élèves de 10 ans de retenir qu’il existe au passé, quatre temps donnés dans cet ordre : imparfait ; passé composé, passé simple, plus-que-parfait. Cet ordre est ordre d’un désordre.

PHILIPPE : c’est incroyable ! Pourquoi ne pas relier le plus-que-parfait avec l’imparfait dont il est l’aspect composé et au contraire juxtaposer le passé composé à l’imparfait ?

PHILIPPE : Le gros problème de cette litanie désordonnée des formes verbales du passé est qu’elle omet le passé antérieur

PHILIPPE : trop difficile disent les instructeurs et à ce titre renvoyé au secondaire, c’est bien cela ?

PHILIPPE : c’est bien cela, oui. Donc, cette liste des formes du passé omet le passé antérieur, et elle inclut l’aspect composé du présent dans le passé.

PHILIPPE : mais ce n’est, au fond, que perpétuer la bourde dénominative affublant de l’aigrette passé composé la forme composé du présent. Et cette bourde est reconduite siècle après siècle par les grammairiens officiels. C’est une erreur mémorable qui consiste en effet à mélanger ce qui relève du temps et de l’aspect soit avec  j’ai mangé : j’ai temps présent, le moment où je parle ; mangé aspect accompli du procès

PHILIPPE : avec pour conséquence une grande difficulté pour les élèves quand, bien plus tard au secondaire, ils devront commenter la valeur des formes verbales conjuguées dans un texte ! Prenons par exemple cette phrase :

Je te dis que tu dois venir même si tu n’as pas pris ton sirop

Comment commenter cette phrase en expliquant que tu, dans le passé, n’ayant pas pris son sirop hésiterait donc à venir…

PHILIPPE : ce serait du pur charabia et une glose sans intelligence du texte.

PHILIPPE : et à ces inepties s’ajoute l’enseignement de quatre temps du passé face à un seul temps du futur… alors que le mode indicatif offre une symétrie parfaite de la construction des temps du passé et des temps du futur.

PHILIPPE : Ce n’est pas exactement le sujet de notre dialogue d’aujourd’hui, mais si l’instructeur juge trop dur l’apprentissage de certains temps, pourquoi alors ne pas différer l’apprentissage du système verbal du français plus tard ?

PHILIPPE : Là on va te rétorquer que c’est une question rhétorique, puisqu’il faut que les élèves apprennent à bien orthographier et qu’apprendre la grammaire est la condition de leur réussite…

PHILIPPE : oui, eh bien ! On pourra quand même se permettre d’insister : si c’était une question rhétorique, alors, on pourrait constater la réussite majoritaire des élèves en orthographe, ce qui quand même serait un peu faire trop dire à la réalité… En revanche, la position officielle, celle de l’ordre du désordre, est fort instructive pour notre propos, puisqu’elle donne la preuve qu’orthographier c’est faire fi de la rigueur de toute analyse grammaticale de « la langue » -comme se gaussent à dire les programmes scolaires qui exigent des enseignants de « faire » « de la grammaire de langue »-. Et les mêmes programmes perpétuent cet adage périmé : grâce à la grammaire, l’élève écrira bien, saura bien orthographier… Avec ce régime didactique les élèves s’emmêlent les pinceaux, ce qui est bien normal puisqu’on les leur emmêle avant toute utilisation ! Et bonjour les erreurs orthographiques ou pire encore le galimatias.

PHILIPPE : Revenons à notre phrase de départ. Sur ordre du désordre des Instructions, l’élève va apprendre, et c’est drôlement explicatif, donc il va apprendre qu’il existe trois présents : le présent qui n’est pas décliné comme un temps, mais qui est inclus dans le mode indicatif, le présent de l’impératif et le présent du conditionnel.

PHILIPPE : Ah oui ! Ça, quand même, c’est drôlement explicatif !

PHILIPPE : Eh oui ! Que pourrait bien être un impératif, sinon un présent, puisque tout impératif impose d’être prononcé ou situé dans la situation d’énonciation. On ne peut pas l’en différer. D’où la sottise, au collège, de devoir enseigner l’impératif passé. En effet, dire

aie bien pris ton sirop avant de partir !

En quoi est-ce du passé ? Evidemment que aie…pris ! renvoie explicitement à la situation présente. L’impératif exprime un ordre voire un souhait du locuteur à l’égard de l’interlocuteur, en représentant comme achevée, au moment même de son départ, la prise du sirop. Mais celle-ci ne relève aucunement du passé ! C’est d’ailleurs un bel exemple pour faire comprendre combien il serait utile que l’enseignement commence par enseigner aux élèves la distinction aspectuelle (aspect simple, je mange ou prends ton sirop avant de partir ! – aspect composé j’ai mangé ou aie pris ton sirop avant de partir !) au lieu de mélanger ou plutôt de ne pas distinguer des temps, des époques et des aspects.

PHILIPPE : Et que pourrait être maintenant le présent du conditionnel ? Sûrement pas un présent puisque ce qui caractérise le conditionnel c’est qu’il relève de ce qui n’est pas arrivé, comme tout futur :

S’il venait, je mangerais

(expression d’un futur dans le passé et donc manger n’est pas advenu au moment passé considéré par la phrase)

Tu mangerais ça, toi ?

(expression d’une hypothèse, c’est-à-dire d’un événement –manger– non réalisé, expression d’une probable non réalisation de l’acte de manger en regard de la situation présente)

Si on veut introduire le conditionnel dit présent, il faudrait d’abord partir de sa différence avec le temps du futur simple. Mais le désordre des Instructions Officielles empêche cette approche cohérente.

PHILIPPE : Donc on a bien, selon les Instructions officielles, trois présents : le présent (dans le mode indicatif) ; le présent du conditionnel donc, dans le mode conditionnel…

PHILIPPE : même si le terme de mode n’est pas employé pour le conditionnel dans la présentation faite aux parents confrontés à l’apprentissage des conjugaisons par leurs enfants, c’est bien de cela dont il s’agit. Excuse-moi, je t’ai coupé…

PHILIPPE : …je t’en prie, donc le présent du mode indicatif, le présent du conditionnel et le troisième présent, c’est le présent de l’impératif…

PHILIPPE : et là aussi, je te coupe encore, ce n’est pas dit, mais cela annonce implicitement le mode impératif.

PHILIPPE : Whoua ! Trois présents alors qu’il serait tout simple d’évoquer la situation du dialogue

PHILIPPE : en termes didactiques, la situation d’énonciation

PHILIPPE : oui, mais évitons ce mot qui ne serait pas compris des élèves, qui opacifierait le sens aux oreilles des élèves, et réservons-le au secondaire. Restons en à la situation de dialogue, parce que ça c’est tout simple et tout simplement compris immédiatement par les enfants.

PHILIPPE : Je ne résiste pas à citer ce cours de CM2 qui, énumérant « les valeurs du présent » (donc, dans l’ordre du cours présent d’actualité, présent de vérité générale, présent d’habitude, présent historique ou de narration) termine par le « présent du passé ou futur proche ». Eh oui ! Là c’est du lourd…. Juges-en donc :

Nous partons demain

(valeur de futur proche)

J’arrive à l’instant de Paris

(valeur de passé proche)

Rien n’est faux, bien sûr, en termes de valeurs mais les Hauts Instructeurs de l’inspection ont-ils réfléchi à l’embrouillamini des dénominations métalinguistiques (nous employons ce mot, parce que les Hauts Instructeurs, ils aiment ça le métalangage, ils croient même que sans cela les élèves n’apprennent rien, si ! si !, et c’est des spécialistes… oui des spécialistes du métalangage es ordre du désordre et point spécialistes du développement cognitif de l’enfant… certes, certes)

PHILIPPE : Dans sa présentation pour les parents, Caroline Moka est toute douceur envers les Hauts Instructeurs. Ainsi peut-on lire et ce n’est encore que justesse : « L’enfant est initié étape par étape à la conjugaison, d’abord les verbes du 1er groupe, puis ceux du 2e, enfin être et avoir et les verbes irréguliers du 3e groupe ». « Étape par étape », on pourrait croire qu’on est face à une conception constructiviste… or, évidemment, ce serait faire fausse route, car il n’y a pas plus anti-constructiviste que la conception de « l’enseignement de la langue » à l’école. Notons que les verbes être et avoir sont mis entre le deuxième et le troisième groupe.

PHILIPPE : Pourquoi ?

PHILIPPE : Nulle explication. Pourtant, puisque le troisième groupe est défini comme contenant les verbes irréguliers, il pourrait comporter ces deux verbes essentiels du français… Pourquoi être et avoir sont-ils mis à part des autres verbes ? Du coup, quelle est l’importance pour l’enfant de connaître les groupes si certains sont en dehors et si l’un des groupes ne regroupe point des cohérences mais seulement des incohérences (verbes irréguliers) ?

PHILIPPE : c’est toujours ordre du désordre.

[1] Caroline Moka, Le guide de survie pour  les parents. Les Devoirs à la maison sans stress. Ecole primaire, Paris, Nathan, 2018, 64 p. 5€90 – p.44