Á nouveau sur la déprofessionnalisation des métiers de l’éducation

Nous avons déjà évoqué la tendance à la déprofessionnalisation des métiers de l’éducation. Nous poursuivons notre enquête en nous penchant, cette fois-ci sur les métiers éducatifs du secteur social.

KROTENBERG, Alain, Je suis en ITEP, parce que personne veut de moi !, Paris, Tom Pousse, 2020159 p. 13€

Ce livre est à destination de tous les professionnels de l’éducation ou ayant affaire au secteur professionnel de l’éducation. En ces temps d’inclusion scolaire, où le gouvernement taille à vif dans les budgets qui alimentent tout ce qui touche à l’éducation spécialisée, fermant des postes dans les Instituts Médicaux Pédagogiques, Instituts Médicaux Éducatifs, vidant les instituts de sourds de classes et sections entières etc., ce livre ouvre une fenêtre de compréhension instruite sur les Instituts Thérapeutiques Éducatifs et Pédagogiques (ITEP) créés par décret en janvier 2005. Ce sont « des établissements médico-sociaux ayant vocation à accueillir enfants, adolescents et jeunes adultes de 6 à 20 ans qui présentent des difficultés psychologiques dont l’expression et l’intensité des troubles du comportement perturbent gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages ». La prise en charge est globale, c’est-à-dire thérapeutique, éducative, pédagogique. Depuis le décret du 24 avril 2017, faisant suite à l’article 91 de la loi de Santé de 2016, les ITEP fonctionnent en dispositif intégré (DITEP)

Les enfants accueillis en ITEP nécessitent, d’une part un repérage pas trop tardif des carences éducatives et affectives dont ils sont le théâtre, une prise en charge globale, intégrale, où la relation à l’autre et la relation aux autres sont les deux caractéristiques majeures. Le livre de Krotenberg décrit parfaitement le parcours des jeunes à partir d’exemples qui permettent au lecteur, même peu familiarisé avec ce secteur professionnel, de bien saisir les enjeux psychologiques et sociaux. C’est dans ce cadre que l’intégration de ces jeunes dans les écoles, collèges, lycées, est préconisée. Encore faut-il qu’il s’agisse d’un moment dans un parcours en évolution de la personnalité de l’enfant et non d’un principe administratif soumis à évaluation et statistiques pouvant pénaliser ou favoriser l’établissement.

Aujourd’hui, avec les injonctions ministérielles visant à démultiplier le nombre des enfants d’ITEP en inclusion, il y a fort à parier que, comme on le voit pour les sourds et d’autres handicaps, les ITEP n’aient, dans un avenir très proche, plus en charge que des enfants aux trop sévères troubles comportementaux et affectifs, et pour lesquels l’inclusion se révèle impossible. Pour ces enfants qui ne relèvent ni de l’hôpital psychiatrique, ni du médico-social (car ils sont trop violents), ni de la justice (ils ne font pas partie des délinquants), une prise en charge globale reste la seule indiquée. Encore faut-il que les ITEP ne soient pas privés de moyens pour la mettre en place. La société s’en inquiète-t-elle ou accepte-t-elle, tacitement, de faire glisser ces jeunes-là vers la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) ?

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce qui se développe sous nos yeux, c’est une fabrique de relégation sociale sous les discours de l’inclusion sociale. En inférant des glissements de ce type de jeunes, handicapés ou non, des institutions et dispositifs spécialisés (dont ceux de l’Éducation Nationale) vers les structures scolaires traditionnelles, les politiques publiques déstabilisent les professionnalités des travailleurs et travailleuses des établissements spécialisés dans la prise en charge des handicaps ou autres et, conséquemment, mettent à mal une prise en charge en convenance avec les difficultés ou handicaps des jeunes en question. Ainsi, « les nouveaux usagers accueillis en ITEP (…) présentent des pathologies ne relevant pas de leur mission, telles que des troubles des conduites et pathologies psychiatriques associés (dépression, psychose, états limites associés à l’hyperactivité, aux troubles des apprentissages, à un retard mental et/ou à des addictions, des dysharmonies psychotiques) ». Les ITEP accueillent ainsi « un mélange explosif de différentes pathologies mettant à mal la cohésion des équipes ». On trouve le même phénomène de glissement pour les Instituts Médicaux Éducatifs (IME) : « La grande tendance de ces dernières années est de placer en IME beaucoup d’enfants autistes, surtout si ces enfants n’ont jamais trouvé aucune structure pour les accueillir depuis leur naissance (car dans ce cas, les parents de l’enfant autiste portent souvent plainte contre le ministère de la Santé) ». Pour mémoire, les IME -et les Instituts Médicaux Professionnels (Impro) pour les enfants de 14 ans- sont censés accueillir des jeunes à déficience intellectuelle légère accompagnée de troubles du comportement.

On le voit, combattre l’édulcoration des métiers, liés au champ large de l’éducation, repose sur le refus de nier les handicaps et les parcours de vie réels des jeunes. Ce combat n’est pas un combat catégoriel. Il s’agit d’un des enjeux professionnels essentiels de la lutte à mener contre la conception officielle de l’inclusion scolaire. Certes, Krotenberg n’aborde pas cette question, sinon sous l’angle de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 (loi portant des espoirs pour les milieux associés aux questions du handicap). Mais son panorama précis des textes de loi régissant les ITEP et l’état des lieux détaillé qu’il propose sont une ressource certaine et précieuse pour les professionnels de l’éducation, surtout à l’heure où les administrations de l’Éducation Nationale multiplient, sans aucune rationalité, les interventions de multiples acteurs pour, soi-disant, inclure et combler leurs autorités de tutelles. Quant aux jeunes….

Philippe Geneste