La dictée

Malgré des constats récurrents d’inefficacité, la dictée comme remède ministériel aux difficultés des élèves en français.

Philippe Geneste

In memoriam la dictée de Belkassine

Une étude consacrée à l’évolution du niveau d’orthographe des élèves français vient de révéler que ceux-ci régressent par rapport aux années extérieures. Ainsi, s’ils montrent une bonne compréhension de l’écrit, la question grammaticale les fait plonger. En 1987 ils étaient 5,4% à commettre des erreurs sur les accords (soit dans le groupe nominal soit dans le groupe verbal), ils étaient 11,3% en 2007 et ils sont aujourd’hui 19,5%. Ces chiffres devraient fournir des arguments suffisants pour remettre en cause l’enseignement orthographique et grammatical puisque celui-ci fonde l’enseignement du français dès les petites classes depuis l’institution de l’école.

Mais que non ! La scolastique a la vie dure. Les inspecteurs, les directeurs et directrices de l’éducation scolaire, les experts, Bentolila, Encrevé, Cerquiglini y étant tous favorables, le débat ne sera pas ouvert. L’inénarrable alors ministre de l’éducation nationale Vallaud-Belkacem a la solution : « l’instauration d’un exercice désormais quotidien de dictée ». Effarant de perspicacité ! Les décideurs n’ont toujours pas compris l’inutilité de leur ligne Maginot grammatico-orthographique et c’est reparti pour un tour…

En effet, depuis Jules Ferry et le vingtième siècle commençant, la question orthographique a toujours fait débat. A l’aube du vingtième siècle, des linguistes tentèrent de monter à l’assaut de la citadelle des fautes… En vain : une réforme réussit à être votée au parlement mais elle ne fut jamais appliquée. C’est qu’en France, l’orthographe est un dogme national, une sorte de drapeau identitaire. Alors les décennies s’enchaînent, des débats renaissent, mais toujours la chape de plomb du nationalisme orthographique retombe. Il faut dire que les pouvoirs politiques peuvent s’appuyer sur le corps enseignant qui, dans la diversité de ses statuts s’unit pour faire suer l’accent et les accords aux élèves dès le plus jeune âge. Pour ce faire, les dogmatiques réactivent, à chaque fois, la sempiternelle antienne du respect de la grammaire confondue avec la langue…. Ils rabâchent, en effet, puisque l’histoire de la grammaire française prend sa source, principalement, du sein de l’école et en liaison étroite avec la question orthographique. On le tait, mais ce n’est pas l’orthographe qui est historiquement tributaire de la grammaire, c’est la grammaire qui a été élevée pour renforcer l’ordre orthographique.

Peut-être vous demandez-vous pourquoi, si cet enseignement grammatico-orthographique itère les échecs, pourquoi, donc, les décideurs, les gouvernants, les enseignants persévèrent-ils dans cette voie ? La seule réponse est à chercher dans le domaine idéologique. Ce qui atteste ce propos c’est l’identité des arguments quelles que soient les époques où il se mène : baisse du niveau, abrutissement des esprits, atteinte à l’identité nationale, laxisme de l’école etc. Le français national est un pilier de l’ordre républicain, un instrument de propagande patriotique et ce depuis les temps de la révolution française. Attaquer l’orthographe, remettre en cause la grammaire édifiée pour elle, relève alors du crime contre l’ordre public. C’est pourquoi tous les débats sur le français, et en particulier sur l’orthographe et la grammaire, prennent des allures passionnelles. Toujours, le conservatisme de réaction l’emporte. Quant aux élèves ? Vous avez dit « élèves » ? Mais, tant pis pour les élèves ! Et, au diable le souci de l’amour de la langue pour la population scolaire !

Sources : Le Monde 10/11/2016, Séro-Guillaume, Philippe, Geneste, Philippe, A Bas la grammaire, Paris, Papyrus, 2014, 125 p. ; Geneste, Philippe, Séro-Guillaume, Philippe, Les sourds, le français et la langue des signes, 2ème édition revue et corrigée, Chambéry, éditions CNFEDS – Université de Savoie, 2014, 197 p.