Un apprentissage créatif du langage contre l’enseignement précoce de la grammaire

L’enfant est désormais conçu comme un sujet actif qui construit ses expériences, se représente le monde, se l’approprie. La composition des équipes pluridisciplinaires nous montre à quel point cette conception fait désormais partie intégrante de la prise en charge des jeunes sourds et l’on ne peut que s’en féliciter.

Philippe Séro-Guillaume

Ceci dit, force est de constater que dès qu’il est question de langue, l’activité du sujet sourd n’est plus au cœur de la réflexion. On s’intéresse et cela ne date pas d’aujourd’hui, essentiellement aux fautes commises par les sourds. A cet égard, les quelques passages suivants, sont tout à fait révélateurs. On trouve sous la plume des jeunes sourds nous dit-on :

« nombre de (…) phrase petit nègre (du genre : « Des lunettes il faut pourquoi ? ») qui ne respectent pas l’ordre des mots (…) des noms sont confondus : « nez pour museau » (…)

Le figement est un processus linguistique (…) Cette tendance qui manifeste l’impact des premiers apprentissages est responsable des nombreux syntagmes figés qui révèlent une approche encore imparfaite des règles de la combinatoire de la langue. Il s’agit en quelque sorte de « fautes d’habitude » : « Paul lance au ballon »(sur le modèle de : Paul joue au ballon (…) ; « Joël embrasse à maman » (Joël dit bonjour à maman) (…) Face à ces erreurs, le professeur doit non pas mettre en cause la méthode mais plutôt sa propre pratique. Les leçons de grammaire présentent le grand intérêt de permettre une comparaison de syntagmes et de phrases, de mettre en relief les différences de fonctionnement, de souligner les différents emplois et les constructions particulières. »[1]

 

Les analyses des « fautes » conduisent à préconiser un renforcement de l’enseignement des règles de la combinatoire de la langue conformément à ce qui est la règle à l’école en matière de français, à savoir l’enseignement précoce de la grammaire. Cet aspect pour l’enseignement auprès des entendants qui eux, possèdent la langue par leur pratique de l’oral et par le fait de baigner dans l’environnement linguistique du français a été à juste titre largement critiqué[2], alors, on peut comprendre le drame que constitue l’application d’une même conception éducative et les méthodes qui vont avec, pour le jeune sourd qui ne maîtrise pas la langue. Il se trouve sommé d’apprendre la langue française de façon artificielle. Tout se passe comme si on apprenait à l’enfant à marcher à l’aide d’une planche anatomique au lieu de l’inviter à marcher.

 

L’enseignement précoce de la grammaire aux jeunes sourds 

Le fait est que l’écrit joue un rôle très particulier dans l’enseignement du français aux jeunes sourds : il rend la langue visible et permanente c’est pourquoi il est utilisé comme support et renforcement. Ce faisant il fait à la fois fonction de moyen et de fin. L’enseignement spécialisé est amené à confondre moyen et fin et de ce fait il ne prend pas suffisamment en compte d’une part que le fait d’apprendre à lire c’est aussi apprendre à écrire et d’autre part que le jeune sourd apprend la langue dans le même temps qu’il apprend à lire et à écrire. Il ne s’agit pas pour lui d’accès à l’écrit mais d’accès à la langue par des procédures écrites puisque, à la différence de son homologue entendant, l’enfant sourd ne maîtrise pas la langue lorsqu’il aborde l’écrit.

 

Cet accès plus tardif ne devrait pas le dispenser des étapes qui jalonnent nécessairement le procès d’appropriation du langage. Or les premiers textes que l’école propose à l’enfant sourd sont les mêmes que ceux qui sont proposés aux jeunes entendants. L’ordre des mots -sujet, verbe, complément d’objet ou attribut du sujet- y est quasiment immuable. Il n’y a pas d’interrogation sur ce que construit l’enfant sourd du langage. C’est pourquoi, lorsqu’il écrit, l’école va se concentrer sur ses « fautes » et monter des dispositifs de remédiation. C’est-à-dire que l’enfant est à peine entré dans le langage écrit que déjà il est réprimandé au sens où son écrit fait l’objet d’un repérage de « fautes ». Le raisonnement c’est de faire correspondre l’écrit du jeune sourd à l’image de l’écrit attendu par ce qu’édictent les programmes. On n’est pas attentif à la réalité des acquisitions langagières du jeune sourd dont entrée dans l’écrit est marquée, d’emblée par le sceau du « fautif », de l’insuffisant… avec l’effet d’inhibition que cela peut avoir et qui est bien connu chez les entendants. Ce repérage des « fautes » ne tient pas compte de questions essentielles sous jacentes à l’enseignement : où en est l’élève ? Qu’est-ce qu’il est en mesure d’apprendre ? Est-ce que ce sur quoi l’enseignement s’appuie lui est accessible ? Est-ce que ce qui lui est enseigné est pertinent ?

 

Qui plus est, les explications grammaticales n’expliquent pas grand-chose et même compliquent singulièrement la tâche des élèves sourds. En effet, les grammaires traditionnelles ne s’intéressent en fait qu’aux effets de sens rencontrés au fil du discours, elles ne nous disent rien de la langue à proprement parler. les règles de grammaire ne font que prendre acte des cas d’emploi avec… toutes leurs exceptions. Comme l’indique Gustave Guillaume :

 

« Une erreur certaine de la grammaire traditionnelle (…) est de vouloir expliquer les emplois en parlant d’autres emplois » [3] ; la méthode, poursuit Guillaume, « qui consiste à dériver les valeurs d’emploi les unes des autres et à les réduire à l’une d’entre elles considérée comme la source des autres »[4] « conduit à d’insupportables abus d’interprétation ».[5] Par exemple, dire que le passé simple exprime dans le passé une action brève (Puis la bombe éclata), c’est s’interdire de comprendre les dinosaures régnèrent durant la quasi totalité de l’ère mésozoïque soit près de 175 millions d’années où le passé simple exprime une longue durée.

 

La conception officielle du bilinguisme français / langue des signe qui pose que cette dernière est l’outil de médiation privilégié de l’ensemble des enseignements disciplinaires y compris celui de l’enseignement du français aboutit à un renforcement de l’enseignement de la grammaire. A ce sujet rappelons le propos d’Hervé Benoît du CNEFEI [6] :

 

« On sait, par exemple, que l’appropriation de l’écrit suppose un effort de décentration par rapport à la relation dialogique pour constituer le code en objet d’étude, ce qui est la définition même de la posture métalinguistique » (50). « Cette capacité de mise à distance peut tout à fait s’acquérir grâce à des pratiques pédagogiques spécifiques en LSF comme l’analyse d’un discours signé enregistré (filmé). L’accès au concept de grammaire suppose en effet que l’on ait constitué une langue, peu importe laquelle, en entité référentielle autonome. Les procédures d’analyse construites dans une langue sont, par définition transférables dans une autre. »[7]

 

Cette conception ne concerne pas seulement les équipes pédagogiques des établissements qui se réclament d’un projet bilingue stricto sensu. Elle intéresse aussi les nombreux enseignants qui utilisent à des degrés divers la langue des signes en classe et sont à la recherche d’un cadre pédagogique. En effet dans ce contexte, lorsqu’il est question d’enseignement du français se pose la question de la comparaison des deux langues. Un effet particulièrement lourd pour les élèves sourds est que, désormais, ils doivent apprendre, non plus une mais deux grammaires. Pour les décideurs, probablement que deux difficultés valent mieux qu’une….

 

Et ce d’autant plus que l’on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de la démarche proposée au regard de ce qui est avancé s’agissant de la langue des signe. En la matière ce sont les linguistes Christian Cuxac et Agnès Millet qui donnent le la et inspirent les programmes de l’Education Nationale.

Dès 1987, le premier a proposé pour la langue des signes une « logique structurelle de l’iconicité »

« On définira l’iconicité comme le continuum d’un rapport entre l’appréhension pratique et perceptive d’expériences réelles et leur transposition dans un système symbolique. (…)

L’iconicité d’une langue dépend (…) des conditions de production : l’utilisation du canal visuel-gestuel qui permet la conservation des quatre dimensions de l’espace-temps, liée à l’exigence d’iconicité mentionnée plus haut, rendent compte de la forte adéquation iconique entre les langues des signes et l’expérience ». [8]

 

La seconde pose que les langues « utilisant le canal audio-vocal (…) suivent la logique profondément linéaire de ce canal. Par contraste, les langues gestuelles utilisant le canal visuel-corporel, suivront les logiques de la perception visuelle »[9].

 

L’iconicité de la langue des signes se manifeste essentiellement par les conduites dites de transfert personnel, lorsqu’il s’agit d’endosser successivement l’identité des protagonistes d’un récit, transfert situationnel lorsqu’il s’agit de figurer avec ses mains les entités, personnages, objets ou animaux et leur situations respectives dans l’espace et/ou leurs déplacements. Ces transferts qui constituent l’essentiel des cours de « grammaire » signée[10] sont jugés plus idiomatiques que le recours aux signes conventionnels.

 

Lorsqu’il est question de présentation contrastive du français et de la langue des signes la dichotomie, langue visuelle/langue vocale, est celle qui prévaut et, par la même, entraîne une interrogation légitime si on adhère à la théorie de l’iconicité. Les difficultés inhérentes au passage d’une langue à l’autre voire à l’interprétation proprement dite ne sont-elles pas majorées du fait du caractère radicalement opposée des deux langues en présence ? La spécificité de la langue des signes ne complique-t-elle pas singulièrement la tâche des personnels spécialisés ?

Sont concernés par cette interrogation:

-les enseignants, les orthophonistes, les éducateurs qui sont constamment amenés à reformuler, à interpréter à vue des textes français pour leurs élèves sourds et procèdent aussi à l’opération inverse qu’il s’agisse d’une interprétation à proprement parler ou par exemple, d’une aide à la rédaction à partir de la production signée d’un élève.

-les interprètes, bien sûr,

– et, au premier chef, les élèves sourds, dont l’acquisition du français est conditionnée par l’enseignement qui leur est dispensé.

En effet comment peut-on concilier les deux affirmations suivantes :

d’une part, les procédures d’analyse construites dans une langue, [la langue des signes] sont, par définition transférables dans une autre [le français dixit Hervé Benoist]

et d’autre part, la logique visuelle quadri-dimensionnelle synthétique de la langue des signes s’oppose à la linéarité de la langue français audio-vocale. [Agnès Millet et Christian Cuxac] ?

Tout simplement parce que malgré cette opposition radicale :

« L’observation des créations de signes chez les sourds isolés fait même postuler une différenciation cognitive dans laquelle s’origineraient des noms –du référentiellement stable, repérés par leur saillances perceptives – et des verbes – des types de discontinuités prégnantes récurrentes dans l’expérience dont certaines ont été capitales dans le processus d’hominisation »[11]

 

CQFD. La LSF permet de légitimer la grammaire scolaire à savoir que les noms disent les choses ou autrement dit, « les noms permettent de localiser les êtres ou les choses dans l’étendue, de les distinguer les uns des autres, bref, de les identifier »[12] et que « le verbe dit l’action »[13]

 

On peut se demander quelles peuvent bien être les « saillances », les « récurrences » ou les « discontinuités » perceptives qui pourraient rendre compte par exemple de la possibilité d’évoquer dans une langue indo-européenne comme le français, un même objet de pensée en employant un nom ou un verbe, par exemple course et courir ou de la fonction du verbe avoir dans Il y a une contradiction. En effet, les noms et les verbes, ne se promènent pas dans la nature. Ce sont comme toutes les catégories grammaticales des inventions humaines. La langue des signes n’est pas une copie du réel. Comme toute langue, elle est un univers de pensée.

 

Parler d’ « intelligence visuelle » n’est qu’une facilité de langage commode pour souligner que les sourds utilisent les données de la vue plus consciemment que les entendants. Parler de langue visuelle n’est qu’une facilité de langage triviale pour traduire le fait que la langue des signes se perçoit visuellement mais inexacte au plan scientifique.

 

L’intelligence n’a pas de siège organique propre. Elle n’est pas plus visuelle chez le sourd qu’elle n’est auditive chez l’entendant. Elle repose comme l’a démontré Piaget sur des constructions d’opérations C’est dans l’interaction avec le monde, y compris avec les autres que le sujet se construit, construit son intelligence. Ipso facto quels que puissent être les domaines dans lesquels elle s’exerce, quelles que soient les sources qui alimentent son action les modalités qu’elle utilise pour transiter, l’intelligence, c’est là sa fonction essentielle, dissocie pour mieux les associer, forme et fond. Le pictogramme est compris non pas pour ce qu’il donne à voir, une flèche, mais pour ce qu’il signifie, une direction à prendre.

 

Les recherches concernant les régions du cerveau impliquées dans le traitement du langage fournissent des éléments d’appréciation en ce qui concerne la dichotomie langue visuelle/orale

« L’on s’entend aujourd’hui sur le fait qu’il y a, autour du sillon latéral de l’hémisphère gauche, une sorte de boucle neurale impliquée dans la compréhension orale du langage et sa production par la parole. À l’extrémité frontale de cette boucle, on trouve l’aire de Broca, habituellement associée à la production du langage. À l’autre extrémité, plus précisément dans la partie supérieure et postérieure du lobe temporal, se situe l’aire de Wernicke, associée au traitement des paroles entendues, autrement dit à l’input du langage. L’aire de Broca et l’aire de Wernicke sont connectées par un important faisceau de fibres nerveuses appelé le faisceau arqué. Cette boucle est présente dans l’hémisphère gauche chez environ 90 % des droitiers et 70% des gauchers, le langage étant l’une des fonctions traitée de manière asymétrique dans le cerveau. Étonnamment, on la retrouve aussi au même endroit chez les sourds qui s’expriment en langue des signes »[14].

Les affirmations de Millet et Cuxac ne seraient validées que si « les   utilisateurs de la langue des signes voyaient leur hémisphère droit prendre en charge ce langage étant donné sa prédilection pour les tâches visuo-spatiales. Or il n’en est rien : on retrouve autant de signeurs que d’entendants latéralisés à gauche. La langue des signes est gérée par la région cérébrale affectée au langage »[15].

Comparer, comme le font les promoteurs de l’iconicité, les prestations d’un signeur sourd racontant une histoire à un texte français écrit, nous conduit à une incongruité scientifique par ailleurs lourde de conséquences au plan pédagogique en matière d’enseignement des langues aux jeunes sourds

 

Si les conduites dites de transfert personnel sont observables dans les discours signés et parlés c’est tout simplement parce que ces conduites ne constituent pas un fait de langue inscrit dans une logique perceptive bien hypothétique, mais un fait de discours, un procédé qui peut être mis en œuvre quelle que soit la langue utilisée. J’ai nommé scénarisation cette opération de discours et c’est donc à dessein que j’ai choisi un extrait de l’interview radiodiffusé d’une jeune fille entendante s’exprimant spontanément en français pour illustrer ce qu’il faut entendre par scénarisation.

 

Cette dernière déclare : « C’est l’esprit de … tu[16] me dis ça, je te dis le contraire ». Le tout avec le changement d’intonation approprié. Son propos est très clair. Elle explique tout simplement qu’elle a l’esprit de contradiction. Cette façon de procéder consiste à actualiser le schéma actanciel (Qui fait quoi ?) sous-jacent à l’expression consacrée esprit de contradiction.

 

Lorsqu’il est question de confronter le français et la langue des signes, il conviendrait, en la matière, de comparer ce qui est comparable à savoir : les prestations d’un sourd signant et d’un entendant parlant racontant une histoire. On s’apercevrait que la prise en charge corporelle mise en avant s’agissant de la langue signée accompagne aussi le discours de l’entendant. Si on doit comparer langue des signes et langue française il faut comparer discours signés et discours parlés, discours authentiquement parlés. La langue des signes devrait en toute logique introduire au français parlé et non pas au français écrit ou plus exactement à l’idiolecte scolaire hypercorrect.

 

Rien ne s’oppose à ce que l’on traduise une information en langue des signes ; en revanche, aucune tournure idiomatique signée ne fournit un équivalent au il de Il est cinq heures, ni ne permet d’expliquer sa raison d’être, surtout pas le fait de montrer la montre. On peut se demander comment la présentation contrastive langue des signes / langue française –préconisée par l’éducation nationale– permettra au jeune sourd de construire, par exemple, le verbe être français en lui faisant correspondre le signe [PERSONNE] exécuté sur le corps propre du signeur ?

 

L’intérêt de la langue des signes est ailleurs. Il est inutile de rappeler ici à quel point elle peut être utile au jeune sourd pour communiquer, se construire.

 

À propos de l’enseignement de la langue aux jeunes sourds Denise Sadek-Khalil pose un principe fondamental :

« (…) lorsque l’on s’adresse à des enfants atteints de surdité il vaut mieux que les exemples de langage ne soient pas accompagnés de commentaires. Ces exemples doivent parler d’eux-mêmes, et toute explication donnée elle-même par du langage exige pour être comprise un effort qui disperse l’attention du sujet quand elle ne donne pas lieu à des contresens »[17].

 

La recommandation de Sadek-Khalil est d’autant plus importante que, dans le cas de figure qui nous intéresse, les commentaires ne sont pas présentés dans la langue étudiée, le français, mais de préférence dans une autre langue, la langue des signes. Or ceci accroît le risque dont fait état l’orthophoniste guillaumienne. Ce ne sont pas les explications grammaticales qui permettent à l’enfant en général et encore moins à l’enfant sourd de s’approprier la langue. Comme l’indique Gustave Guillaume c’est l’activité du sujet qui est primordiale en la matière :

 

« Les techniques de rééducation du langage font appel à une compréhension très fine de ce que doit faire l’enfant pour réinventer à partir de ce qu’il en voit faire, le psycho-système [les mécanismes conceptuels] de la langue. Il entre là en jeu des facultés naissantes et puissantes (…) qui ne peuvent être fortifiées que par des exercices savamment déterminés. (…) la tâche de rééducation est de faire de l’enfant un structuraliste »[18].

 

Autrement dit, il s’agit de faire en sorte que les enfants qui ont besoin de rééducation en matière de langage puissent exercer leurs facultés au même titre que tous les enfants dont Gustave Guillaume nous dit :

« Les enfants sont les grands structuralistes. Mais ils ne peuvent nous livrer leur savoir. Ils ont fait des choses qu’ils ne savent pas avoir faites et qui toutes ont été excellentes »[19].

Contrairement à son homologue entendant, le jeune sourd, répétons le, entame sa scolarité, aborde l’écrit alors qu’il est en phase d’apprentissage de la langue. Qui plus est, on peut affirmer sans grand risque d’erreur que c’est dans une très large mesure à travers des procédures écrites qu’il va devoir s’approprier la langue. Il va donc s’agir de proposer à l’enfant sourd des séquences pédagogiques qui prennent en compte cette singularité, qui lui permettent d’aborder la langue dans sa forme écrite comme son homologue entendant l’a fait s’agissant de l’oral ; c’est à dire de la construire à partir des emplois qui lui sont présentés. Bien qu’il ait déjà six ans il va falloir susciter puis accueillir ses premiers tâtonnements écrits avec la même bienveillance que celle que l’on réserve aux premiers mots de l’enfant entendant. Toute autre façon de procéder avec un jeune sourd en phase d’acquisition du langage, tout particulièrement la présentation de la règle de grammaire assortie ou non d’explications en langue des signes et suivie d’exercices d’application, ne peut être que d’un rendement médiocre parce qu’elle court-circuite l’activité du structuraliste qu’est l’enfant.

 

Il est fondamental de concevoir l’enseignement de la langue dans sa liaison au langage, donc à des activités réelles de langage. Les témoignages de collègues témoignent, s’il en était besoin, que la mise en œuvre de ce principe d’apprentissage créatif du langage est possible et fructueuse quels que soient l’âge et le profil des élèves concernés.

Philippe Séro-Guillaume

[1] Leduc, Victor, L’enseignement de la langue aux déficients auditif. Problèmes-Méthodes-Méthodologie, Paris, 1979, thèse de professorat de sourds

[2] Entre autres Boimare, Serge, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 2005 ; Geneste, Philippe, Politique, langue et enseignement, Ivan Davy éditeur, 1998 et Genèse de l’école hiérarchique, éditions le chiendent émancipé, 2013

[3] Gustave Guillaume, Leçons de linguistique 1948 – 1949, … série A, Vol 1 (…), Québec – Paris, P.U.Laval – Klincksieck, 1971, p.133.

[4] ibid. p.78

[5] ibid. p.133

[6] Centre National d’Étude et de Formation à l’Enfance Inadaptée, devenu depuis INSHEA (Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés)

[7] Hervé Benoit « L’Apprentissage de la lecture et l’appropriation de l’écrit dans l’éducation bilingue », La Nouvelle revue de l’AIS, Hors-série de juin 2005, Cnefei. Cet article a été commenté dans Connaissances surdité n°15, mars 2006, p. 26-31 et dans Liaisons n°5 décembre 2006 p. 47-56

[8] Christian Cuxac, « Transitivité en langues des signes, structures de l’iconicité » in La transitivité et ses corrélats, Cycle de conférences organisées par Denise François-Geiger, Centre de linguistique, travaux no 1, Université René Descartes U.E.R. de Linguistique Générale et Appliquée, Paris, 1987, p. 18.

[9] Agnès Millet, « Entretien croisé avec Christian Cuxac et Agnès Millet », Langues et Cité, Bulletin de l’observatoire des pratiques linguistiques, n°4, novembre 2004, p. 2.

[10] Francisco Gaiola Elizabeth, « Un exemple de travail au collège sur la linguistique de la LSF », Contact sourds-entendants, Grandir et apprendre en langue des signes, oui mais comment ? L’Harmattan, 2012, p. 71 à 88

 

[11]Christian Cuxac, « Expression des relations spatiales et spatialisation des relations sémantiques en langue des signes française » in Diversité des langues et représentations cognitives, Catherine Fuchs et Stéphane Robert (eds.), Orphys, 1997, p 158.

A cette affirmation confuse nous opposerons le point de vue de Piaget qui, dans Les Mécanismes perceptifs. Modèles probabilistes. Analyse génétique. Relations avec l’intelligence, présente l’expérience « comme une structuration progressive et non pas une lecture » (Paris, PUF, 1975, p.443 -1ère édition 1961). Et dans La Naissance de l’intelligence chez l’enfant, Neuchâtel-Paris, Delachaux-Niestlé, 1986, p.125 (1ère édition 1936) : « aussi n’existe-t-il à aucun niveau, d’expérience directe ni du moi ni du milieu externe : il n’ y a que des “expériences” interprétées »

[12] Dans la rubrique « morphologie » (!!) Bergougnioux, Pierre, Aimer la grammaire, Paris, Nathan, 2002, p.7

[13] Agnès Rosenstiehl et Pierre Gay, Le Livre de la langue française, Paris, Gallimard jeunesse, 2010, p. 67

[14] Institut de recherche en santé du Canada internet

[15] Ibid.

[16] Le tutoiement en impliquant le destinataire mobilise son attention.

[17] Sadek-Khalil, Denise, L’enfant sourd et la construction de la langue, Editions du Papyrus, 1997.

[18] Gustave Guillaume, Leçons de linguisitique 1956-1957. Système linguistiques ett successivité historique des systèmes II tome v, Québec –Lille, PU Laval- PU Lille, 1982, p. 222. cité par Philippe Geneste, Gustave Guillaume et Jean Piaget, Paris, Klincksieck, 1987, p. 61.

[19] Ibid., p. 221.