Pourquoi enseigner la langue par le discours ? L’exemple de l’écriture

Pourquoi enseigner la langue par le discours ? L’écriture de collégiens est ici observée pour instruire la réponse à cette question.

Journal d’enseignement, réflexion d’un praticien

par philippe Geneste

Pourquoi enseigner la langue par le discours ? L’exemple de l’écriture

Le langage est une réalité sociale.

L’acquisition du langage est la résultante d’une interaction sociale.

L’institution de la langue dans l’esprit d’un sujet est le résultat d’une genèse individuelle.

La société et la personnalité sont donc nécessaires à l’élaboration du langage chez tout sujet. La langue se construit dans l’échange de paroles et d’écrits. Mais dire cela ne doit pas masquer la réalité de l’approfondissement des capacités langagières qu’offrent des expériences autocentrées de langage (poésie, journal, fabulation…) qui pourraient servir utilement à l’éducation si l’école acceptait de les accueillir avec les autres dans le cadre d’un apprentissage créatif du langage. C’est ce dont traitera cette contribution.

Dans ce cadre, qui est celui d’une conception constructiviste de l’apprentissage et de l’enseignement, les écrits des élèves sont accueillis (1), c’est-à-dire qu’ils sont pris au sérieux. Pour ce faire, les écrits des élèves sont évalués non pas pour mettre une note ou pour colorer quelque compétence, mais mis en valeur par des demandes spécifiques de réécritures. C’est un leitmotiv de la pédagogie pour un apprentissage créatif du langage que d’expliquer qu’on apprend à écrire par la réécriture.

La réécriture, en effet, explicite la nature dialogique de la langue et des discours à partir desquels elle se constitue. Le dialogisme, comme l’expliquent Bakhtine et Volochinov (2), met l’accent sur la nécessité pour construire sa langue de voir, d’entendre sa parole accueillie par l’autre. Mais il s’agit d’un accueil critique, au sens constructif d’ajustement de l’écrit au vouloir dire d’une part mais aussi d’ajustement en retour du vouloir dire au dit (3).

En effet, dans le moment de réécriture il y a certes l’ajustement au vouloir dire : l’enseignant propose des modalités de modification de son texte à l’élève en fonction de ce qu’il comprend de ce que l’élève veut dire. Cela c’est l’accueil, accueil critique de l’expression. Les élèves vont en retour apprécier (donner une valeur, un prix) cet accueil. Ainsi peut se nouer une relation autour de la compréhension du texte de l’élève.

A ce premier moment succède un second, celui de l’ajustement du vouloir dire à l’exprimé en ce sens que l’expression de l’élève porte des possibilités (d’extension) qui débordent le vouloir dire initial. En coordonnant les signes (4) entre eux, en manipulant l’ordre des mots, les sons, les tournures de phrase (5), la mise en page (6), la réécriture fait dévier l’énoncé initial et vient modifier le vouloir dire. Elle l’enrichit, elle le précise ; elle le porte ainsi vers une volonté de dire renouvelée car plus en adéquation avec sa pensée et en enrichissant celle-ci. Ce n’est pas par un discours général sur le sens de ce qu’a écrit l’élève que l’enseignement agit, mais par une implication dans la pratique d’écriture que doivent être ses annotations, stimulations d’écriture donc aussi de réécritures.

On dit, communément, les psychologues disent aussi, que la fonction sémiotique, c’est-à-dire le langage, facilite la construction d’une pensée représentative ouverte parce que l’usage de la langue permet de mettre en coordination des actions en plus, bien sûr, de servir à la représentation de coordinations d’actions. C’est incontestable. Nous préciserons que ce travail des opérations mentales du sujet passent par la maîtrise de l’ordre du discours, du discours et non pas de la langue. Tout acte d’expression s’appuie sur des actes de représentation et ce processus global s’appuie sur les modalités verbale du raisonnement c’est-à-dire sur le jugement verbal. Il n’y a rien de donné a priori dans ce processus. Tout y procède de mouvements d’acquisitions. C’est pour cela, par exemple, que l’on voit les collégiens peiner sur les réécritures, écrire, reprendre, raturer, biffer, ajouter, substituer, soustraire. C’est cela un acte d’écriture. Il convoque des coordinations d’action, de la pensée si l’on veut mais sous emprise de langage, c’est-à-dire à la fois de sens à signifier pour un autre et de formes sémiotiques (phonie, gestes, graphie) porteuses, réalisatrices sur le forum du dialogue.

Phlippe Geneste

Notes

(1) Voir Séro-Guillaume, Philippe, « Enseigner c’est accueillir », Liaisons, n°10, 1996, pp.29-40

(2) BAKHTINE Mikhaïl, VOLOCHINOV V.N., Le Marxisme et la philosophie du langage – essai d’application de la méthode sociologique en linguistique, traduit du russe et présenté par Marina Yaguello, préface de Roman Jakobson, Paris, Editions de Minuit, 1977, 233 p. (première édition sous le nom de Volochinov, Leningrad, 1929) et BAKHTINE Mikhaïl, La Poétique de Dostoïevski, traduit du russe par Isabelle Kolitcheff, présentation de Julia Kristeva, Paris, Seuil, 1970, 348 p. (édition originale de la deuxième édition, Moscou 1963, première édition, Leningrad 1929)

(3) Nous reprenons ces distinctions à Gustave Guillaume.

(4) Je prends le mot signe au sens guillaumien : le signe fonctionne comme médiateur entre la langue et le discours parce que d’une part il est associé aux éléments dont se compose la langue, les signifiés de puissance, et parce qu’il permet l’actualisation des signifiés d’effet qui sont les idées finalement exprimées dans le discours

(5) Là se place l’intérêt d’un enseignement adapté de la rhétorique

(6) la mise en page est souvent laissée en jachère à l’école où elle est confinée à la présentation avec le nom, le prénom etc. or, la mise en page fait sens car elle est une réflexion en acte sur la coordination des fragments qui composent un discours