Langue des signes, surdité et accès au langage

En ces temps d’inclusion, il est bon le dernier livre de Philippe Séro-Guillaume offre matière à réflexion, pour ce qui est de l’éducation des jeunes sourds tant en formation initiale qu’en formation continue.

Séro-Guillaume, Philippe, Langue des signes, surdité et accès au langage, troisième édition revue et augmentée, Chambéry, CNFEDS – Université Savoir Mont Blanc, 2020, 302 p. suivie d’un carnet pratique d’analyse componentielle des signes manuels assortie d’une transcription 11 p.

Cet ouvrage s’adresse à tous ceux, sourds et entendants, parents, éducateurs, orthophonistes, enseignants ou interprètes qui confrontés à la surdité, respectueux de la personne sourde et de ses besoins, et soucieux d’efficacité au plan professionnel

L’oppression dont a été victime la langue des signes (Milan 1880…) sous-tend, aujourd’hui, encore, les approches des activités langagières des sourds. Les alternatives oralisme/visualisme ; monolinguisme français/monolinguisme gestué ; monolinguisme gestué/bilinguisme servent de support aux discours et représentations en matière de langage des sourds.

Or, si l’histoire des sourds est illisible sans l’étude de l’évolution des conflits ayant abouti à cette cristallisation en ces alternatives, cette histoire ne saurait se figer à des débats où l’idéologie tient lieu de raison. Interroger ces points de cristallisation ne permettrait-il pas de faire advenir de nouveaux terrains d’étude et de travail qui permettraient une nouvelle étape émancipatrice pour le monde de la surdité ? On dit monde mais sous cette homogénéité communautarisante ne se cache-t-il pas une hétérogénéité qu’il ne faudrait pas oublier dans la perspective d’objectivité ?

D’une part, les sourds ne forment pas un groupe homogène, les inégalités sociales traversent ce que l’on nomme leur communauté et ce fait les rattache à la vie sociale ambiante et aux oppositions de classes qui la fondent. D’autre part, on ne saurait s’affranchir de questions de fond :

-Sur quelle épistémologie bâtir une conception de l’apprentissage du langage ?

-Quelles sont les incidences du choix historique et politique d’un pays ayant opté pour une langue nationale unique sur la pratique de la langue des signes française ?

-Quels soutènements sont les mieux à même de fonder, auprès des jeunes sourds, un enseignement renouvelé du français comme de la langue des signes française ?

– Quelles sont les conséquences de la surdité au plan de l’accès au langage chez le jeune sourd ?

-Les projets éducatifs sont-ils adaptés aux contraintes que posent la surdité ?

-Quelle est la nature de la langue des signes ? Que peut-on attendre de son introduction dans l’éducation et la scolarité du jeune sourd ?

C’est avec une réflexion longuement mûrie au cours d’années d’expériences où s’entrecroisent les combats pour la reconnaissance de la langue des signes, la pratique professionnelle de l’interprétation, la formation d’enseignants auprès des sourds soit en formation initiale soit en formation continue, que répond Philippe Séro-Guillaume. Ce livre part de situations concrètes, se nourrit d’exemples pratiques multiples. Il évite les discours déclamatoires et spéculatifs pour privilégier une approche pragmatique nourrie de la volonté de dessiner les contours théoriques constructivistes permettant d’embrasser sans hiatus les questions linguistiques et donc sociales qui traversent toute réflexion et toute pratique professionnelle sur et au sein de la surdité.

La clarté de l’exposé permet au lecteur d’aborder la question linguistique –et c’est peut-être la première fois qu’un exposé aussi complet l’aborde ainsi– en évitant le communo-centrisme qui isole et le nationalo-centrisme qui lamine. Au cœur des questions pratiques et des développements théoriques se font jour, alors, les questions de choix qui tissent la teneur politique de la raison linguistique en matière de surdité.

De plus, pour la première fois, une théorie du geste manuel est proposée, ouvrant à une transcription de la langue des signes. Loin d’être une question théorique déconnectée de l’enseignement, on peut se demander comment les décideurs de l’Education nationale peuvent à la fois reconnaître la langue des signes comme langue d’enseignement et lui dénier toute transcription propre. Il ne viendrait à l’esprit de personne d’enseigner le basque et de faire de l’écriture du français le substitut de l’écriture basque. C’est pourtant ce qui se fait pour la langue des signes…

Philippe Geneste