Les échos du langage, pratiques et bibliographie

Petite promenade en logothérapie avec Louis Beggioni, exploration de la grammaire parascolaire et de de la parole avec Philippe Geneste

De la psychomécanique du langage à la logothérapie et à l’hypnose éricksonienne

Voici une brève présentation d’une thérapie qui s’adresse principalement à des adultes mais également à des enfants ou des adolescents en particulier dans des situations de difficultés d’apprentissage.

Ce qui peut rapprocher la psychomécanique du langage de Gustave Guillaume et la logothérapie de Viktor Frankl, c’est sans doute la conception du temps et en particulier celle du présent.

Pour Gustave Guillaume le présent est composé de parties constitutives inséparables et liées fondamentalement à l’écoulement du temps : l’une est tournée vers le passé, l’autre vers le futur, la résultante des deux étant le présent dans lequel nous vivons.

Dans la Logothérapie de Viktor Frankl et l’hypnose de Milton Erickson, le rapport au présent est similaire. Les problématiques d’un patient dans le présent sont étroitement dépendantes de sa vie passée et de ses capacités de projection dans le futur. L’association de ces deux approches psychothérapeutiques permet d’aborder les troubles ressentis dans le présent à travers les principales phases suivantes : la distanciation, la prise de conscience et l’auto-dépassement.

Ces deux thérapies brèves (entre 10 et 15 séances) fondées sur le « sens » concernent en particulier les troubles présentés par les enfants et les adolescents en situation scolaire : que ce soient les difficultés d’apprentissage (y compris la dyslexie et la dyscalculie) et plus largement les difficultés relationnelles avec les autres élèves et/ou les enseignants voire des troubles plus importants comme la phobie de l’école.

Pour toute information envoyer un mail à logenhy@gmail.com et voir le site fr2094.wordpress.com

Louis Begioni

 

 

À bas la grammaire

On assiste à une multiplication des adresses éditoriales parascolaires visant à renforcer les apprentissages, à remédier aux manques, à pallier aux difficultés. Et si c’était inutile ? … Pour en avoir le cœur net, le mieux est de scruter une de ces productions :

Zamorano Cécile, Je joue et j’apprends les bases de la grammaire, illustrations de David Gauthier, Nathan, 2016, un livret 48 p. + jeu de 54 cartes, 12€ 

Pourquoi cet ouvrage ? Parce que nous l’avons trouvé en maintes médiathèques et bibliothèques, signe qu’elle a eu un petit succès.

Le coffret de Zamorro et Gauthier repose sur l’activité de l’enfant. Il surfe sur la recherche de parascolaire par les parents pour aider leurs enfants à réussir à l’école. Bien sûr, c’est l’accompagnement qui prime dans ce type d’ouvrage et ce sont des livres pour les parents à destination de leurs enfants. Comme le dit Nathan, « l’école fait son entrée à la maison ».

Le livret donne un personnage avec un mot clé en page de gauche dont la catégorie grammaticale est indiquée sur la page de droite avec une « forme d’histoire », en fait un prétexte à introduire un terme métalinguistique. Ainsi, le premier, c’est un verbe, dont l’enfant apprend : « il indique une action ». Dessous, dans la marge basse de la page de droite, des verbes sont donnés, il faut en trouver d’autres et en page de droite une liste avec un intrus est livrée, il faut trouver l’intrus.  Evidemment, ça commence mal, si un verbe indique une action, mourir, attendre, être, stationner etc. ne sont pas des verbes… La double page suivante présente des impératifs sans le dire, mais on ne voit pas bien pourquoi l’autrice fait des verbes des êtres animés à image humaine… En quoi cet animisme va-t-il aider l’enfant à abstraire la notion de verbe ? Mystère… A la fin du livret on nous dit que « quand il est tout seul, le roi verbe reste à l’infinitif. Il aime la simplicité. Pas besoin de fioritures ». Les fioritures sont les marques de temps et de personne voire de mode… Est-ce que la notion de simplicité éclaire-t-elle l’enfant sur l’infinitif ? Pourquoi, tel un être humain (le verbe est représenté par l’image d’un roi), l’infinitif serait-il tout seul ? Ce n’est pas vrai métaphoriquement car il existe des marques de l’infinitif comme des marques de temps etc. Quand à l’adverbe, il est dit qu’il « est étonnant car il dit au roi verbe comment faire l’action ». Que vaut cette explication dans : le garçon élégamment vêtu présenta l’ordonnance grammaticale ? Ici, le participe passé sera-t-il vu comme un « roi verbe » ? Non, puisque le verbe « indique l’action » et que, si on suit la posologie grammaticale, c’est présenta qui remplit cette fonction …

Quelques pages plus loin, il est dit : « il y a deux sortes de noms bien différents : les noms féminins et les noms masculins. Un nom féminin ne peut pas devenir masculin et un nom masculin ne peut pas devenir féminin » Or, un nom est un nom, qu’il soit masculin ou qu’il soit féminin n’y change rien : le système de la catégorie nominale ne change pas, c’est le genre qui change, le genre qui est une des caractéristiques systématiques du nom… Curieusement, le nombre n’a pas le même traitement, il n’est pas évoqué… pourtant il appartient au système de la catégorie grammaticale du nom… L’autrice ne le fait intervenir que dans le groupe nominal : « un nom est habillé au pluriel, il est évident que tout le groupe nominal doit s’habiller au pluriel et donc porter un s. Si l’adjectif oublie son s c’est grave ! Les gardes l’envoient aussitôt se rhabiller ». Plus loin, le nombre intervient dans ce qui n’est pas appelé le groupe verbal : « ici le roi accompagne un sujet au pluriel (qui porte un s). Il s’habille donc au pluriel : c’est pour cela qu’il porte une terminaison en –ent ». Et si l’enfant demande pourquoi il ne porte pas une terminaison en s on répondra à l’enfant parce que c’est comme ça… Ceci étant dit pour montrer l’inutilité de ces explications métaphoriques qui n’éclairent point les mécanismes grammaticaux ni les systèmes grammaticaux qui composent la langue. 

Nous nous en arrêterons là. Et les jeux de cartes ? D’une part ils servent au cours de la lecture du livret ; d’autre part, ils permettent de faire un jeu avec l’enfant à partir d’un code des couleurs ou d’une même famille (en réalité non pas une famille de mots mais une même catégorie grammaticale…). Dire après cela que la grammaire est un jeu, voilà qui est bien drolatique… c’est le jeu des confusions …

Philippe Geneste.

 

De la parole

Brachet, Tony, Guislain Gilbert, La Parole, Levallois-Perret, Studyrama, 2016, 245 p. 19€90

Paru dans la collection Principes, culture générale à destination d’étudiants et d’étudiantes préparant des concours, le livre nous semble intéressant pour le traitement qui y est fait de la problématique de la parole, notamment les trois premières parties, dues à Tony Brachet : Parler, Dire, Signifier.

L’auteur part de Descartes et des machines parlantes. La parole serait une mécanique réglée par un code reproductible d’où l’image de l’automate cher à la philosophie cartésienne. La question porte alors sur la dissociabilité de la situation de dialogue dans laquelle est plongée toute parole et d’autre part la dimension de représentation que toute parole véhicule à travers les signes employés. Descartes cité par Tony Brachet écrit : « ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent ». Le dualisme cartésien empêche de comprendre la filiation animale de la parole humaine ; il ne saura traiter la question du cri autrement que sous son aspect physique et physiologique, mécanique donc. Qu’on ne s’y trompe pas, en rappelant ces faits, Tony Brachet ne s’enferme pas dans une histoire de la philosophie. En reprenant Malebranche et La Mettrie, il fait le lien avec la psychologie associative « ainsi qu’une bonne partie des neurosciences » et avec l’image du cerveau comme machinerie connexionniste.

Tout ce développement intéressera les lecteurs et lectrices du LESART psychomecanique. L’auteur convoque les réflexions de Descartes sur les sourds et rappelle les théories du geste qui innervent tant la philosophie, la paléontologie, l’éthologie, l’anthropologie, la linguistique. Il en vient alors aux Recherches sur l’origine du langage et de la conscience de Trân Duc Thao. Il étudie le geste de l’indication, « signe gestuel qui trace une direction et une distance » et remplit « une fonction d’appel ». Il souligne alors le lien, chez le singe, déjà, entre ce geste et le cri qui l’accompagne, une forme d’exclamation interjective, mais qui reste en deçà d’une représentation socialement instituée. Chez l’homme (le « genre praehomo » de Trân Duc Thao), le geste de l’indication fixe « la signification, en sorte qu’il est légitime (…) de poser que la parole est signe » ; « le signe gestuel “en acte” (…) est le signe du signe vocal qu’il “appelle” dès lors qu’une phonation minimale est possible ».

La centralité de la situation comme la centralité de l’interlocution sont confirmées par les travaux de Piaget pour qui, comme le souligne Tony Brachet, « le langage tire son origine, non de lui-même, mais de situations de communication non verbales ». C’est dire, aussi, que l’action est première et que le schème symbolique, qui mène au schème du vocable, donc aussi au signe, est sous-tendu par un schème d’action ou une coordination de schèmes d’action. Du point de vue de la parole, Tony Brachet insiste sur l’échophonie (répétition de paroles entendues) et sur l’écholalie (répétition spontanée de séquences sonores) – toutes les deux abondamment instruites par la psychanalyse lacanienne, nous montre l’auteur – en liaison avec l’échopraxie (reproduction du geste d’autrui) de Piaget « indice de la symbolisation ».

 

Avec l’arrivée des assistants intelligents à commande vocale qui sont le fruit de l’intelligence artificielle et du traitement automatisé du langage naturel, l’interface entre l’homme et la machine prend un nouveau tour, puisqu’il devient désormais possible de se servir de la machine sans avoir à s’approprier son fonctionnement[1]. Or, ce que démontre l’exposé ouvert de Tony Brachet, c’est la centralité du sens dans la parole.

Philippe Geneste

[1] Voir Caulier, Sophie, « Les Machines prennent la parole », Le Monde 21/11/2017