brièveté. A propos de l’enseignement de la forme en -ANT

Alléger l’enseignement grammatical est-il possible ? La réponse est : Oui. Prenons l’exemple de la forme en -ANT.

La grammaire scolaire enseigne la forme en -ANT sous trois dénominations : le participe présent, le gérondif et l’adjectif verbal. Ces distinctions aident-elles les élèves à comprendre, sont-elles explicatives ? Ou alors, ces distinctions brouillent-elles l’identification de la forme en -ANT ?

Dans l’ancienne langue, le participe présent était déclinable. Au XVIème siècle, on disait : « Pour ce que j’appelleray de leurs oreilles écoutantes mal » (Amyot) ; ou encore « mains pélerins errants en soupirant disants leurs aventures et toujours faisants (…) un doux murmure » (Marot) ; ou encore « Ces enfants bienheureux, créatures parfaites ayants Dieu dans le cœur, ne le pensent louer si vos yeux pénétrants jusqu’aux choses futures » (Malherbe).

Le gérondif, lui, n’était pas déclinable.

Le gérondif, on le sait, se rapporte au sujet (« il est venu marchant droit comme un i »). Remarquons que je dis « je l’ai vu en me promenant » : le gérondif se rapporte bien au sujet. Je ne peux pas dire « je l’ai vu en se promenant » parce que se promenant se rapporte à l’objet.

Le participe présent est lui la deuxième forme du mode infinitif, que nous nommerons avec Gustave Guillaume, mode quasi nominal. Cette dénomination évite de désigner par le même mot infinitif et une forme du mode et le mode lui-même. Le mode quasi-nominal comprend trois formes : l’infinitif (exemple : venir), le participe présent (venant) et le participe passé (venu). Dans « j’ai trouvé mon frère lisant Virgile », le participe présent est un régime (on dit régime ce qui est en complément et s’oppose donc au sujet) ; il notifie donc un prédicat.

Aujourd’hui, le participe présent n’est pas déclinable. On ne distingue donc pas grammaticalement le gérondif et le participe présent. C’est pour cela que divers grammairiens préfèrent parler de forme en -ANT. On écrira donc : « maints pèlerins, errant et soupirant, tout en disant leurs aventures et toujours faisant (…) un doux murmure ».

Reste l’adjectif verbal des grammaires scolaires. Disons tout de suite que cette dénomination est du charabia. On ne dit pas, par exemple, du nom Arrivée qu’il s’agit d’un nom verbal sous prétexte que sa source est un verbe. Pourquoi, alors, parlerait-on d’un adjectif verbal pour un adjectif dont la source est le verbe au participe présent ?

La conclusion pédagogique s’impose et elle s’impose en accord avec la réalité du système linguistique et du sous-système du mode quasi-nominal. On enseignera le participe présent (ou forme en -ANT) sans distinguer le participe présent du gérondif (participe présent précédé de EN). On ne parlera pas de l’adjectif verbal, puisqu’il s’agit tout simplement d’un adjectif. Ainsi, l’enseignement grammatical s’allègera-t-il. Dans le même temps, il gagnera en rigueur puisque le participe présent sera présenté comme une forme du système du mode quasi-nominal : l’infinitif, le participe présent le participe présent et le participe passé.

Ce n’est pas à cette conclusion qu’en viennent les serviteurs appointés du service de l’instruction publique et de l’action pédagogique de la direction de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation Nationale. Ils ont publié Grammaire du français. Terminologie grammaticale, Paris, 2020, MEN, 211 p. qui se présente comme « un outil de formation visant à donner aux enseignants les moyens de s’approprier un savoir grammatical solide » (p.3). Voilà comment ils abordent la question.

Sous la catégorie des « modes non personnels » ils distinguent « des emplois variés, qui ne sont pas seulement de type verbal, mais également de type nominal, adjectival ou adverbial » (p.150). Au niveau du sens, « les modes personnels se distinguent par leur aspect » (p.150) : l’infinitif indique l’action à accomplir, le participe présent l’action en cours d’accomplissement et le participe passé l’action accomplie.

Première curiosité, pourquoi alors parler de modes non personnels au pluriel ? Ces trois formes ne constituent-elles pas un micro-système ? Non d’après les rédacteurs… Mais un peu quand même, car ils ajoutent quelques lignes plus loin que ces trois « formes peuvent être nommées “temps”, mais elles n’ont rien de temporel puisqu’elles se distinguent uniquement par leur aspect » (p.151). Voilà qui est d’une explication limpide et à coup sûr qui aidera les élèves…

Le texte précise ensuite qu’on enseignera aux élèves que les « modes non personnels font partie intégrante de la conjugaison du verbe » (p.151) et qu’en aucun cas on parlera à leur égard de « formes non conjuguées ». Exit, de ce fait, l’explication de la conjugaison par l’articulation d’une personne et d’un verbe. Nul doute que cela éclairera les élèves….

Mais que nous dit de la forme en -ANT la nouvelle terminologie grammaticale du Ministère de l’Éducation Nationale ? Elle est présentée sous l’appellation participe présent pages 153 à 155. Les rédacteurs distinguent la valeur verbale (« les invités arrivant, je m’empresse de dresser la table » : les invités arrivant est alors identifié à une proposition participiale) et la valeur d’adjectif (« une élève aimant la lecture »). Dans ce dernier exemple, ce serait une valeur d’adjectif parce qu’on pourrait dire amatrice de lecture ; que aimant ne s’accorde pas en genre et en nombre comme tout adjectif ne doit pas troubler les élèves, il s’agit d’une valeur d’adjectif et non d’un adjectif, les rédacteurs le nomment encore participe présent : voilà qui est explicatif de l’usage de la forme !

Les rédacteurs distinguent ensuite l’adjectif verbal qui est un « degré d’intégration » supérieur « du participe présent à la catégorie de l’adjectif » (p.153) : dans des personnes charmantes, charmantes est un adjectif verbal puisqu’il s’accorde comme le ferait un adjectif. Toutefois, il est à enseigner dans le cadre « des modes non personnels » et du « participe présent »… Il n’y a que si ces adjectifs verbaux changent d’orthographe que l’on a affaire à des adjectifs qualificatifs : précédent (et non précédant), convergent (et non convergeant), fatigant (et non fatiguant). Cette incise du texte officiel est intéressante parce qu’elle montre qu’à fonctionnement identique, le Ministère choisit l’orthographe pour distinguer une même notion employée dans deux catégories grammaticales différentes. Bien que les rédacteurs affirment que leur nouvelle nomenclature est « un savoir grammatical fondé sur les connaissances actuellement disponibles en linguistique française » (p.3), le moins que l’on puisse dire est que le texte officiel manque de rigueur ! En revanche, il reproduit le geste pluriséculaire de la fondation de la grammaire comme appendice de l’orthographe et de l’enseignement de l’orthographe. Une telle persistance, une telle visée conservatrice, prouve que l’enseignement de la grammaire reste rivé à des intentions idéologiques refoulant toute prétention scientifique de description de l’objet linguistique sur laquelle pourrait s’appuyer l’enseignement du discours et sur laquelle pourrait s’appuyer l’enseignement de la langue.

Revenons à l’adjectif verbal. Les rédacteurs, sous la houlette d’un linguiste « professeur des universités » et d’un « Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche » (quel homme que ce dernier homme !), analysent ainsi la forme en -ANT de la phrase suivante, « Cette biologie observe des animaux vivant dans la nature » : « vivant dans la nature » sera enseigné aux élèves comme un « groupe participial » « épithète du nom animaux » (p.154) ; dans « Alice, pensant à tout ce qu’elle devait faire », « le groupe participial [pensant à tout ce qu’elle devait faire] est apposé au nom Alice » (p.154). Enfin, et toujours pour favoriser l’amour de la grammaire auprès des élèves, dans « Les champs environnant le village sont très fertiles », l’enseignant expliquera que « village » est complément d’objet direct de « environnant » et que dans « Les personnes parlant à l’inconnu s’exprimaient dans sa langue » « à l’inconnu » est complément d’objet indirect de « parlant ». Un adjectif (les rédacteurs traitent dans ce passage de l’adjectif verbal) peut donc avoir un COD ou un COI…

Le même embrouillamini vaut pour la présentation aux élèves du gérondif : « l’emploi adverbial du participe présent est celui que l’on nomme “gérondif” » ; « le gérondif est considéré comme un emploi adverbial du participe présent parce qu’il a toujours une fonction de complément circonstanciel ». C’est donc l’emploi en discours (la fonction liée à l’usage syntaxique de la préposition en) qui décide de la définition de la catégorie grammaticale. Or, sans la préposition en, le participe présent n’est pas complément circonstanciel donc il n’est pas scientifiquement juste de faire abstraction de la construction syntaxique en cause. Quant à expliquer aux élèves que c’est « un emploi adverbial » – les rédacteurs ne parlent pas d’une valeur d’adverbe, mais d’un « emploi adverbial », comme ils parlent de l’« emploi verbal » du participe présent, alors qu’ils parlent d’une « valeur d’adjectif » pour l’adjectif verbal – tout en précisant que ce n’est pas un adverbe ni une locution adverbiale, on ne voit vraiment pas ce que les élèves pourraient en tirer même pour leur usage des discours. Il faut être aveuglé par sa position technocratique, à mille lieues des élèves avec un mépris absolu du développement cognitif et linguistique des enfants, pour proposer d’introduire, dans « l’enseignement de la langue », toutes ces distinctions de valeurs, de catégories, d’emplois. Elles ne peuvent en rien aider les élèves à comprendre la langue -puisque les rédacteurs ont cette prétention d’éclairer les enseignants-. Elles sont de nulle utilité s’il s’agit d’assouplir et d’améliorer la pratique verbale des élèves. De plus, toutes ces subtilités absorbées par la superficialité des discours vont à l’encontre même de la distinction par les élèves des catégories grammaticales. L’incohérence théorique, que révèle la présentation de la forme en -ANT par la Grammaire du français. Terminologie grammaticale du Ministère de l’Éducation Nationale, n’est pas pour rien, non plus, dans l’indifférence manifeste de l’école pour les réalités et pour les besoins linguistiques enfantins, collégiens ou lycéens.

Philippe Geneste